Les abeilles perdent la tête en présence de certains pesticides
Les néonicotinoïdes, des pesticides couramment employés en agriculture, désorientent les abeilles à certaines doses. Il apparaît maintenant qu’ils affectent également leurs capacités d’apprentissage et de mémorisation, tout comme le coumaphos. Cela s’explique peut-être par les troubles neurologiques qu’occasionnent ces produits phytosanitaires.
Les pesticides épandus sur les grandes cultures européennes (comme le maïs ou le colza) suscitent de vives interrogations. En 2012, des études scientifiques ont montré qu’une exposition à des doses sublétales pouvait altérer les capacités de navigation des abeilles, et réduire l’apparition de nouvelles reines chez les bourdons. Ces produits sont donc accusés d’intervenir partiellement dans l’actuel déclin des populations de pollinisateurs.
Ces effets ont été constatés à la suite d’expositions d’abeilles à des agents phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes. Or, les abeilles, tout comme les autres pollinisateurs, ne rencontrent pas que ces produits durant leur vie. Elles peuvent également être exposées à des composés chimiques organophosphorés, comme le coumaphos. Cet agent est principalement employé aux États-Unis pour lutter contre le varroa, un acarien parasitant les abeilles.
Deux études scientifiques menées en laboratoire viennent de livrer de nouveaux résultats sur les effets qu’ont ces produits, seuls ou combinés, sur les butineuses. Une exposition à des doses rencontrées dans certains milieux aurait ainsi des effets neurologiques immédiats, ce qui expliquerait pourquoi les pollinisateurs contaminés présentent de sérieux troubles de la mémoire.
Rayons de cire d’abeilles domestiques portant des œufs et des larves. Les parois des cellules ont été enlevées. Les larves (des faux-bourdons) sont âgées de trois à quatre jours. Chez le bourdon terrestre, une exposition à de l’imidaclopride provoque une diminution du nombre de larves en cours de croissance. Beaucoup de cellules restent vides. © Waugsberg, GNU 1.2
Une « crise d’épilepsie » partielle
Les expériences neurologiques ont été menées à l’université de Dundee (Royaume-Uni), sous la direction de Christopher Connolly. Des abeilles domestiques Apis mellifera ont été anesthésiées par le froid, puis les cerveaux ont été extraits puis préservés dans un liquide adapté. Ils ont ensuite été équipés d’électrodes en vue d’enregistrer leur activité en présence de stimulations chimiques (injection de neurotransmetteurs). Finalement, les encéphales ont été exposés à de la clothianidine (2,5 parties par milliard, ppb), de l’imidaclopride (2,6 ppb) et du coumaphos (3,6 ppb). Les doses testées correspondent à celles pouvant être trouvées dans certains milieux naturels.
Les néonicotinoïdes (clothianidine et imidaclopride) ont directement provoqué une hyperactivité des cellules de Kenyon (elles représentent 40 % des neurones du corps pédonculé), avant de rapidement inactiver l’activité neuronale. Or, ces cellules nerveuses interviennent dans la vision et l’olfaction. La région du cerveau concernée a en quelque sorte fait une crise d’épilepsie, avant d’être réduite au silence.
Des résultats similaires ont été obtenus avec le coumaphos. En outre, les réponses perçues ont gagné en intensité lorsque des agents appartenant aux deux familles de pesticides ont été simultanément mis en contact avec les cerveaux. Conclusion, leurs effets s’additionnent. Ces informations ont été publiées dans la revue Nature Communications.
Anatomie du cerveau de l’abeille. Les cellules de Kenyon font partie du corps pédonculé (en vert). © Société centrale d’apiculture
Troubles de la mémoire chez l’abeille
Sally Williamson et Geraldine Wright, de l’université de Newcastle (Royaume-Uni), se sont quant à elles intéressées aux effets des néonicotinoïdes et du coumaphos sur les capacités d’apprentissage des abeilles. L’olfaction est un sens important pour les butineuses, car elle leur permet d’associer un signal sensoriel à la présence d’une source de nourriture. Cette simple opération leur permet, par la suite, d’optimiser leurs explorations, ou celles de leurs congénères.
Des abeilles « saines » ont été confrontées à des sources de nectar associées à des odeurs caractéristiques, ce qui a très clairement conditionné leur comportement de recherche de nourriture quelque temps plus tard. En revanche, leurs homologues exposés aux différents pesticides seuls ou combinés (imidaclopride ou coumaphos) ne sont pas parvenus à associer odeur et source de nectar, c’est-à-dire à retourner rapidement sur une structure artificielle riche en nectar après être rentrés à la « ruche ». Une fois encore, les doses employées peuvent être trouvées dans la nature.
Ainsi, les pesticides incriminés provoquent également des troubles de la mémoire et de l’apprentissage, qui réduisent l’efficacité des explorations. Selon les auteurs et leur article paru dans le Journal of Experimental Biology (JEB), les abeilles contaminées auraient plus de mal à trouver une source de nourriture, apprendre sa position et s’en souvenir pour transmettre ensuite l’information à leurs congénères. Le nombre d’éléments prouvant la toxicité de ces pesticides sur les abeilles vient encore d’augmenter, quelques jours à peine après que la Commission européenne a refusé d’interdire ces néonicotinoïdes pour deux ans.
Laisser un commentaire